La Grande Arche (2)

Publié le par Lyne de Montmartre

Le serment de Robert Lion

 

Le directeur général de la Caisse des Dépôts, Robert Lion, qui préside la Société Tête-Défense, est un homme de conviction. Il ne goûte guère tout ce qui fléchit devant les préjugés, les principes discriminatoires ou l’inélégance du cœur. Il affectionne les gageures, les défis au confort routinier. Au début des années quatre-vingt, alors que La D2fense devenait le champ clos de polémistes armés de scalpels et de toises, il dénonça la misère d’ambitions dans une retentissante tribune libre publiée par Le Monde. Coup de tonnerre dans le « Landerneau » de l’architecture et de l’urbanisme ! A rebours des idées reçues,  Robert Lion revendiquait le droit au geste architectural dans la cité. En huit ans, son vœu s’est exaucé, Robert Lion a veillé à la construction de la Grande Arche, à l’accomplissement d’un projet qui a tiré Paris de sa torpeur. Cet homme qui préfère au tapage le travail bienfait, parle peu. Il aime agir. Il stigmatise encore le comportement timoré qui a longtemps prévalu dans les milieux où l’on octroyait les visas des programmes de construction. « Les projets pour l’axe » explique Robert Lion, « remontent aux années trente. Ce qui a empêché l’aboutissement des projets, singulièrement ceux d’Emile Aillaud ou Ieo Ming Pei, c’est le manque de courage des pouvoirs publics. En particulier sur la question ridicule de la hauteur des bâtiments. Même les plus hautes autorités de l’Etat militaient pour que rien ne soit vu de Paris. » Dans quelles circonstances Robert Lion a-t-il été amené à prendre les responsabilités que l’on sait dans l’opération Tête-Défense ? « J’ai toujours été » précise-t-il « un chaleureux avocat de La Défense et des villes nouvelles. L’action de >Jean Millier avait donné un souffle au quartier. Toutefois, j’avais été heurté par la médiocrité du projet retenu à la fin des années soixante-dix. Ce manque d’ambition découlait du parti pris par Monsieur Giscard d’Estaing, de construire entre trente et trente-cinq mètres de hauteur pour que La Défense n’apparaisse pas dans la perspective des Champs-élysées. Après les élections, le Président de la République s’est souvenu de l’article que j’avais écrit pour protester contre l’absence d’audace. Il prit la décision de rebattre les cartes, d’éliminer tout plafond en hauteur et d’assigner à la Tête-Défense un thème plus ambitieux – celui de la Communication. Je faisais partie du « groupe des quatre » composé de Paul Guimard, de Jack Lang et du Ministre de l’Equipement Roger Quilliot qui conseillait François Mitterrand. Puis, après la constitution du jury par Serge Antoine et Joseph Belmont, je fus élu à la Présidence de ce cette instance. J’acceptai de prendre la Présidence de Tête-Défense, mais, tout en étant honoré par cette proposition, je repoussai l’idée de présider le Carrefour de la Communication, car il me semblait difficile d’animer à la fois des deux structures. »

Robert Lion a attaché beaucoup de prix à la relation privilégiée qu’il a entretenue ave Johan Otto von Spreckelsen : « Ce fut une histoire passionnante avec cet homme pour lequel j’éprouvais de l’estime et de l’affection. »

« Le programme prévoyait initialement cinquante mille mètres carrés voués au Carrefour de  la Communication. Dès l’origine, plusieurs utilisateurs se partageaient l’occupation de l’Arche. Outre le Carrefour de la Communication et le Ministère de l’Equipement ( dont les services étaient trop à l’étroit dans les baraquements provisoires du quai de Passy) des bureaux destins aux entreprises ayant un rapport avec la communication – afin d’amplifier l’idée originelle-, devaient trouver acquéreurs. L’Etat n’achetait que la partie destinée au Carrefour de la Communication, l’ensemble de l’opération a été vendu sauf le toit qui est resté propriété de l’Etat. » sans la volonté de Robert Lion pour résister au Gouvernement d’alors, la Grande Arche eût été vendue y compris la partie la plus noble qui s’inscrit dans la perspective historique.

Robert Lion veut insister sur ce caractère original de la construction de l’Arche : «  La conduite financière était très différente des autres opérations ; nous savions au départ que l’Etat ne viendrait pas nous apporter une rallonge budgétaire si nous dérapions. Dans ce cas, c’était aux actionnaires d’intervenir. Aujourd’hui que l’opération est terminée à 90% et qu’elle est vendue, je pense qu’il n’y aura pas de dépassement. Nous avons respecté les dates précises de livraisons. Nous avons appliqué à l’égard des entreprises un comportement rigoureux. Certes, il s’agit d’une opération plus contraignante, mais les contraintes ont aidé à son bon déroulement. Son caractère double – à la fois monumental et commercial – ajoute à sa difficulté et à notre fierté d’avoir accompli ce projet sans modifier le parti de l’architecte. »

François Mitterrand, attentif à la création architecturale, a suivi le chantier de la Grande Arche avec l’attention d’un expert. «  Le Président de la République » confie Robert Lion «  m’a fait l’honneur de me nommer responsable de la conduite de cette opération. Je l’ai vu très soucieux du choix du projet. Pendant plusieurs semaines, avant de se décider, il a étudié les quatre projets retenus par le jury. J’ai eu avec le Président de la République des relations fréquentes et confiantes. Nous nous retrouvions très souvent avec Johan Otto von Spreckelsen autour des maquettes ou sur le site qu’il a visité plusieurs fois. La Grande Arche est l’un des projets qu’il affectionne le plus parmi la série des grands projets. Son attention a été pour moi un encouragement constant. Je n’ai  jamais référé à d’autres que lui, véritable maître d’ouvrage. Le président de la République a été conseillé par Yves Dauge, et, depuis 1988 par le Ministre Emile Biasini. »

Robert Lion évoque avec émotion la fraternité qui le liait à Johan Otto von Spreckelsen. « C’est un grand architecte. Je dis cela pour avoir vécu avec l’équipe de Tête-Défense et l’agence de Paul Andreu la réalisation de ce qu’il avait conçu.  L’harmonie d’ensemble, le soin apporté aux échelles, l’agencements des détails, le geste génial – après coup surtout !- que constitue le pivotement, traduisent un très grand talent. Je comprends mieux, maintenant que l’ouvrage force l’admiration, l’opiniâtreté avec laquelle il a défendu son projet. C’était un tempérament d’une grande fermeté. Cet homme apparemment calme, serein, pouvait s’emporter et résister contre vents et marées, au maître d’ouvrage. Mais ces relations animées  sont le propre des grands architectes. J’ai beaucoup regretté que les modifications que nous avons dû apporter au projet, au printemps 86 – du fait du nouveau gouvernement – c’est-à-dire la densification des collines, aient obligé Monsieur J. O. von Spreckelsen à nous quitté de manière très courtoise.  Nous nous sommes séparés sur un serment de ma part – que j’espère avoir respecté – de poursuivre la réalisation de l’Arche dans  la totale fidélité  à son auteur. J’ai été bouleversé par son décès. Son nom restera parmi les grands de ce siècle.

Publié dans culture

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S
Merci Lyne de nous avoir parlé de cette Arche.<br /> Etonnante cette histoire...
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